Bain de Blues - 22 et 23 avril 2016
par Y. Philippot-Degand

Hélas absent l'an dernier à cause d'un autre événement très important (Lynyrd Skynyrd à Paris, quand on est chroniqueur à RTJ, c'est une mission obligatoire !), j'étais bien décidé cette année à profiter de l'affiche des 10 ans du festival Bain de Blues. Pour cette édition, outre l'affiche entièrement renouvelée, comme d'habitude, la nouveauté résidait dans l'organisation le samedi après-midi d'un « Blues Garden » gratuit en alternative au festival « off » habituellement réparti dans deux bars de Bain de Bretagne (35), lieu de ce festival. Mais commençons par le commencement, c'est à dire le vendredi soir.

Sur la petite scène, c'est au trio de la côte Atlantique Ella Foy, aussi chargé en cette soirée de meubler les changements de plateaux sur la grande scène, que revient l'honneur d'ouvrir le bal, en douceur car leur folk blues épuré privilégie la subtilité. Arrangements dépouillés mais astucieux, au sein d'une formule réduite capable aussi de faire évoluer son univers grâce au multi-instrumentisme de ses membres, Ella Foy séduit autant le public grâce à la voix d'Hélène (chant, donc, mais aussi guitare et ukulélé) que par le swing jazzy de Romain (contrebasse, guitare) ou les interventions brillantes de Bruno (harmonica, chœurs), tout ce petit monde étant capable d'ajouter ici ou là quelques percussions adaptées à l'esprit de tel ou tel morceau, histoire de contribuer à leur swing délié.


Puis Patrick, le maître de cérémonie, lance ensuite officiellement le Festival du haut de la grande scène, laissant rapidement place entre chien et loup aux Picards de The Swinging Dice pour un set entraînant et pêchu qui a tout de suite mis le public sur la bonne longueur d'onde. Dans une ambiance féline et classieuse entre Stray Cats et Aristochats, ça swingue dur sous les projecteurs avec une fougue réjouissante à voir et à écouter. La salle ravie se met dans l'ambiance : voilà un festival déjà bien lancé.


Retour à un blues plus classique dans une formation qui l'est moins avec les Crazy Hambones réunissant dans un même trio un batteur allemand, un guitariste-chanteur anglais et un chanteur-harmoniciste américain ! Déjà bien chauffé par The Swinging Dice, le public se montrera très sensible à la bonne humeur, à l'entrain, à la cohésion du groupe, bien emmené par Henry Heggen, son « show-man » harmoniciste branché directement sur le secteur à la façon un peu d'un Lee Brilleaux, qui a su par son abattage impressionnant mettre ses potes de la rythmique sur orbite (le guitariste Brian Barnett joue les lignes de basse avec son pouce tandis que le batteur Michael Maass tient le tempo avec une inaltérable bonne humeur et une précision métronomique). La salle enthousiaste en redemande !


Le trio laisse place à une plus grosse machine très au point, aux arrangements très travaillés : le John Clifton Band investit la scène de manière très professionnelle mais son leader ne se contente pas de mettre en avant une très belle et puissante voix et un impeccable jeu d'harmonica. Il laisse aussi largement ses compères instrumentistes s'exprimer, en particulier son guitariste et son pianiste. Sur scène, il est bientôt rejoint par un… deuxième harmoniciste, en fait le frère du guitariste, mais la façon très américaine de hiérarchiser très strictement la participation au spectacle fait naître une petite polémique dans une partie du public, John Clifton gardant le plus souvent avec lui le micro harmo et ne le déléguant à son jeune invité que lorsqu'il lui octroie le droit de jouer, là où ça a été décidé. Le « petit jeune » montre alors qu'il se débrouille très bien, mais la démarche le laisse le reste du temps l'harmonica coincé entre les mâchoires. Dommage de laisser se développer une telle controverse, car la prestation de qualité du groupe ne devrait pas avoir à en souffrir, mais ce genre de situation reste courante dans le show-biz d'outre Atlantique : chacun à sa place, et on sait qui est le boss. En tous cas, toujours à la mode américaine, et bien emmené par son leader, le groupe a mouillé la chemise avec énormément d'énergie et de conviction et a assuré le job avec les honneurs.


Pour terminer la soirée, l'équipe de Bain de Blues nous a emmenés un peu plus loin des racines de cette musique et nous a invités à nous plonger dans l'univers festif des Nantais de Fonky Nyko. On aime ou on n'aime pas, car on peut naviguer assez loin du blues le plus traditionnel cher à certains spectateurs. Le groupe présente la particularité de fonctionner avec un bassiste opérant à l'hélicon, ce qui donne au groupe un jeu de scène original et une assise rythmique particulière, d'autant que le sax donne aussi plutôt dans les graves puisqu'il s'agit d'un baryton. Alliance cuivre et bois, ça pousse fort du côté des vents, mais ça pousse aussi très fort du côté de la voix puissante, riche et bien posée de Nicolas Vallée. Les compositions sont servies par une énergie considérable et une très grosse mise en place, sans compter le jeu de guitare incendiaire de Niko « himself » lorsqu'il lâche son électroacoustique marquée à son nom pour une électrique. Cela fait contraste avec le jeu plus expérimental et plus planant de « Pop's » à l'autre guitare. Curieux brouet, mais qui fonctionne parfaitement sur scène et invite la partie du public qui a encore un peu d'énergie à se bouger.

Le lendemain, la météo n'est pas vraiment de la partie, avec en particulier un vent glacé, ce qui nuira quelque peu à l'agrément du Blues Garden, mais la musique à l'abri sous une tente continue de nous apporter de sympathiques vibrations. L'après-midi commence fort avec le jeune duo Nantais, Lil' Tom & Jak, sur base de guitares électroacoustiques et harmonica, une très belle prestation par des musiciens sympathiques, puis arrive le trio électrique du Normand Thierry Anquetil, qui présente au contraire les avantages d'une grande expérience. Et ça s'entend : le groupe tourne rond et se laisse très agréablement écouter. Ces deux formations efficaces sont visiblement animées par la passion du blues. Pour finir, le groupe francilien Full Tags s'éloigne un peu plus des structures traditionnelles du blues en proposant une approche originale, plus soul, plus latino, pouvant quelquefois aussi flirter avec un esprit californien. Tout ceci constitue un bel apéritif pour la soirée, en félicitant tous les musiciens pour avoir assuré des prestations peu évidentes en raison d'un froid inhabituel pour la saison.

On fait sortir tout le monde du Blues Garden, et on ouvre les portes de la salle pour la deuxième soirée. Je dois avouer ne pas être mécontent d'être un peu à l'abri du vent. Et puis la soirée promet ! Tout d'abord je découvre Nash and the Delaware, un quatuor nordiste chargé des inter-scènes. Le moins qu'on puisse en dire est que ça remue et que c'est sympa, et puis comme moi ils semblent adorer George Thorogood ! Puissant, intense, pouvant être explosif, ce groupe nommé d'après leur guitariste-chanteur Franck Nash bénéficie de la présence stimulante d'un harmonica tonique tenu par Sébastien. Une excellente découverte dans un style plus « classique » qu'Ella Foy la veille, mais qui fait aussi passer d'agréables moments, y compris grâce à leurs compositions originales.


Sur la grande scène, le public a rendez-vous avec Vicious Steel, toujours en duo mais dans une formule différente : Antoine Delavaud a remplacé Tim Coiffet et il tient la batterie, ce qui donne une tout autre allure à la musique du groupe, mais sans rien renier de ses principes. Revendiquant le blues remuant de la ruralité mis à leur propre sauce, les deux compères ont vite fait de conquérir ceux qui ne les connaissaient pas encore, et je ne peux pas m'empêcher de trouver une certaine parenté entre cette formule et les Crazy Hambones qui ont sévi la veille. Ne me demandez pas pourquoi, c'est juste un feeling. D'ailleurs force est de reconnaître que, dans un genre différent, Cyril possède de redoutables qualités de « show-man ». Pour en savoir plus sur ce groupe détonnant, je vous conseille de lire la chronique parue dans nos colonnes, et de jeter une oreille plus qu'attentive à ce groupe gentiment décapant. Un bonheur…



Le blues, ça peut être parfois très rock'n roll, surtout quand un artiste très attendu déclare forfait pour cause de maladie au dernier moment. C'est la mésaventure arrivée cette année avec le désistement de Big James and The Chicago Playboys. Espérons que nous pourrons voir un jour à Bain l'artiste au trombone.
Fort heureusement les organisateurs ont réussi à sortir de leur manche JJ Thames. La diva du Mississippi, désormais ancrée à Memphis après un passage par Motown, a pu leur venir en aide en faisant un petit crochet bienvenu par la Bretagne, et nous n'avons pas eu à nous en plaindre, loin de là. Dans une ambiance très soul, et très bien soutenue par un impeccable groupe de requins français, notre jeune interprète a pu faire admirer sa bonne puissance vocale, sa générosité et toute son énergie communicative sur des standards parfaitement adaptés à son style vocal, qui n'exclue pas pour autant une certaine sensibilité. Prestation réussie, JJ se retire avec les honneurs. Est-il utile de dire que la température dans le public s'est maintenue à un très haut niveau pendant tout le show ?

Le défi de haut vol lancé par la jeune génération représentée par JJ Thames aurait pu impressionner Sandra Hall soutenue par le pianiste Victor Puertas et l'excellent groupe French Blues Explosion, encore des Français de qualité. Mais Sandy en a vu d'autres dans sa longue carrière, et elle a tout mis pour défendre son statut. Là encore, nous avons eu droit à un moment étonnant d'énergie et de générosité. Après une intro très swing/rhythm'n'blues, Sandy s'est installée dans un swing lui aussi très teinté de couleurs soul avant de terminer en trombe sur du boogie et même sur du rock avec une version très « Ike & Tina Turner » du classique « Proud Mary » pendant laquelle elle a invité quelques jeunes du public à monter sur scène pour participer à la fête dans une ambiance assez extraordinaire.

Et pour terminer cette soirée à haut potentiel énergétique, le trio du pianiste Henri Herbert est venu achever un public ravi avec son boogie débridé. Là aussi, la générosité mise à l'affiche a amené le musicien du Jim Jones Revue à tout donner, et croyez-moi, mis à part pendant quelques ballades, ça balançait sec ! Cet engagement total a séduit les spectateurs qui ont encore trouvé l'énergie de bouger pour soutenir ce « show-man » endiablé qui finira d'ailleurs la soirée complètement sur les rotules, mais toujours très souriant et visiblement heureux d'être là.

Pour finir, soulignons le haut niveau technique de ce festival : tant aux lumières qu'au son il n'y a rien à redire, il suffit juste d'admirer le travail. Pour ne rien gâcher, l'organisation impeccable et très bien rodée permet de bien profiter de tout dans les meilleures conditions possibles, avec des bénévoles qu'il faut ici remercier pour leur énorme boulot.
Une nouvelle fois, Bain de Blues aura tenu ses promesses et offert aux spectateurs ravis deux jours intenses de musique de qualité. Vivement la prochaine édition !


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